dimanche, 22 novembre 2009
«Il n'y a pas d'alternative à l'engagement en Afghanistan»
Entretien d'Hervé Morin au quotidien Le Figaro
INTERVIEW - Le ministre de la Défense, Hervé Morin, veut rappeler les objectifs poursuivis aux Français inquiets.
LE FIGARO. - Qu'allez-vous dire aux sénateurs de l'opposition qui s'interrogent sur le bien-fondé de l'engagement français en Afghanistan ?
Hervé MORIN. -Je leur répondrai qu'il n'y a pas d'alternative à cet engagement. Même si la France est depuis longtemps convaincue qu'il faut faire évoluer la stratégie et être davantage présent auprès de la population. Comme l'a dit un jour McChrystal, le patron des forces américaines en Afghanistan : 10 - 2 ne font pas 8 mais 20. Lorsqu'on supprime deux talibans, on multiplie le nombre de talibans par deux, car des frères ou des cousins ont l'obligation de prendre les armes. C'est le fonctionnement de la société afghane, basé sur les dettes d'honneur. Nous ne sommes pas face à un enjeu militaire en Afghanistan, mais à un défi de sécurisation d'un pays.
Pensez-vous que la France ait suffisamment de résilience pour pouvoir soutenir à long terme l'effort de guerre en Afghanistan, alors même que les sociétés américaines et britanniques donnent elles-mêmes des signes d'essoufflement ?
Les Français voient souvent l'Afghanistan comme un front armé classique, comme si on était dans les plaines de l'Europe centrale. Il est difficile de leur faire comprendre qu'on peut avoir des morts dus à l'explosion d'un IED (engin explosif improvisé) dans une région calme. Ce qui inquiète les Français, ce n'est pas le fait que l'on soit présent en Afghanistan, c'est que l'on soit contraint d'y rester pendant des années ! Il faut donner des perspectives, des objectifs à l'opinion publique. Il faut rappeler aux Français que laisser l'Afghanistan aux talibans, c'est laisser le terrorisme prospérer et nous menacer. Il faut enfin leur dire que le risque de contagion au Pakistan, puissance nucléaire, est loin d'être négligeable si nous partons.
L'impression d'indécision qui émane de la Maison-Blanche, le fait que le président Obama n'arrive apparemment pas à trancher sur la question des effectifs, ne risquent-ils pas d'avoir des conséquences en France ?
Soyons clairs : à l'échelle de l'Afghanistan, la zone couverte par les 3 000 soldats français représente 1 % du territoire… Pour pouvoir contrôler tout le pays, il faudrait des volumes militaires considérables et ce n'est pas envisageable. Alors le fait que l'on envoie 20 000 ou 40 000 hommes ne suffira pas. La seule stratégie qui vaille est de respecter la population afghane et de faire monter en puissance son armée et sa police. En Afghanistan, la victoire ne peut pas être uniquement militaire. La vraie question, c'est comment convaincre les Afghans que leur sécurité est garantie par l'alliance, qu'il leur faut coopérer pleinement avec nous et faire pression sur les talibans pour qu'ils rendent les armes. Aujourd'hui, ils sont pris entre le marteau et l'enclume.
Que pensez-vous de la plainte déposée par les familles des victimes d'Ouzbin ?
Elles vivent dans la douleur, avec un sentiment d'injustice que toutes les familles connaissent lorsqu'elles perdent un proche. Mais il n'y a pas eu de faute commise le 18 août 2008 à Ouzbin. On peut toujours dire qu'il manquait tel ou tel moyen ou qu'il n'y avait pas suffisamment de moyens de reconnaissance. Je vous rappelle que quelques semaines après Ouzbin, les forces françaises sont tombées dans une nouvelle embuscade qui a fait un blessé grave. Et bien, nos moyens de reconnaissance aériens mis en œuvre ont été inopérants : les talibans étaient indétectables parce qu'ils ne bougeaient pas ! On ne pourra jamais supprimer l'imprévu dans les opérations militaires, ce que Clausewitz appelait le brouillard de la guerre. L'action militaire, qui comporte toujours une part d'incertitude, ne peut pas faire l'objet d'une appréciation judiciaire au risque de paralyser nos forces.
Offensive franco-afghane dans la vallée de Tagab
Environ 700 soldats français et une centaine de militaires afghans, appuyés par des blindés et des hélicoptères de combat, ont lancé hier [dimanche dernier NDLR] une offensive dans la vallée de Tagab, à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Kaboul. Cette région montagneuse constitue une base arrière pour les talibans. L'opération vise à sécuriser la vallée où une route doit être construite. Celle-ci doit permettre de relier le Pakistan voisin au nord de l'Afghanistan, en contournant Kaboul, ce qui faciliterait le transport de marchandises. L'offensive se heurtait hier à des tirs de snipers.
(Source : Le Figaro, 16 novembre 2009).
08:00 Publié dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.