vendredi, 06 juillet 2012
Vendredi Europe Express - Les Français, mauvais élèves du Parlement européen
Entre ceux qui ont été nommés ministres et ceux qui ont brigué un poste à l'Assemblée nationale, environ 20 % des députés européens français préparent leurs valises. L'influence française à Bruxelles en pâtit, alors que le Parlement européen a acquis une place d'importance.
Le chant du départ a été entonné une première fois le 24 mai dernier. Ce jour-là, le Parlement européen est réuni, comme tous les mois, en séance plénière à Strasbourg. Dans le vaste hémicycle, inondé par la lumière blanche des spots, les sujets à débattre ne manquent pas, entre le sort réservé à Ioulia Timochenko en Ukraine, ou l'égalité homme-femme au travail. Vers midi, une courte pause : la présidente de la séance s'échappe un instant de cet agenda surchargé pour officialiser le départ de quatre parlementaires -Kader Arif, Pascal Canfin, Stéphane Le Foll et Vincent Peillon. Ils sont déjà loin : à peine le temps d'un pot de départ pour certains, ils sont depuis une semaine happés par leurs nouvelles responsabilités dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Loin des austères débats européens.
L'annonce suscite quelques applaudissements dans les larges travées. Combien sont-ils, à ce moment-là, dans les rangs des eurodéputés français, à rêver secrètement du même hommage, dans quelques semaines, pour saluer leur propre départ ? Combien s'imaginent déjà quitter la cathédrale moderne de verre et de métal de l'institution européenne pour retrouver les ors prestigieux des palais nationaux ? C'est qu'ils sont nombreux à avoir la tête à Paris en ce printemps électoral. Certes, ils n'ont été élus qu'en 2009. Mais une place à l'Assemblée nationale, c'est si difficile à refuser... En tout, quinze des soixante-quatorze eurodéputés français ont déjà fait leurs valises pour les ministères, ou les préparent pour le Palais-Bourbon. Le calcul est rapide : près de 20 % du corps français au Parlement européen pourrait être renouvelé à mi-mandat.
Un deuxième choix
Ils ne partiront pas tous, c'est vrai. « Mais ça envoie un mauvais signal, ça montre que Bruxelles reste toujours un deuxième choix aux yeux des Français », se désole une habituée des arcanes européennes. L'Italie est elle aussi une habituée de ce genre de pratiques. Mais cela continue d'étonner nos voisins du pays du Nord. « Les députés allemands viennent souvent me demander pourquoi les Français agissent ainsi », relève Evelyne Gebhardt, élue du SPD, qui a fait ses études en France et a même participé à la commission Attali. « En Allemagne, quand vous êtes élu pour cinq ans, vous faites cinq ans, c'est tout », ajoute-t-elle.
Tous les partis ne sont pas à mettre dans le même panier. Les plus pressés de fuir les couloirs interminables de Bruxelles et de Strasbourg sont dans les rangs du Front national et du Front de gauche. Au sein du premier, deux des trois eurodéputés (Marine Le Pen et Bruno Gollnisch) sont candidats aux législatives. Au Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, la proportion est de trois sur quatre. Mais comme les deux leaders s'affrontent à Hénin-Beaumont, il y en aura au moins un des deux qui restera. Vu leur très faible implication dans le travail parlementaire, on ne peut pas dire que ça changera grand-chose à l'influence française en Europe...
La palme de la fidélité revient au Modem et à Europe Ecologie-Les Verts. Ce dernier a seulement vu partir Pascal Canfin. Le tout nouveau ministre délégué au Développement porte désormais une cravate, qu'il n'arborait quasiment jamais à Bruxelles ou Strasbourg. Une promotion éclair qui récompense trois années très intenses où l'écologiste a réussi à devenir un interlocuteur incontournable sur les questions de régulation financière. « C'est une grosse perte pour le Parlement européen », reconnaît Sylvie Goulard, eurodéputé Modem. Le parti de François Bayrou ne connaîtra, pour sa part, aucun mouvement. Ce n'est pas l'envie qui manquait à certains de tenter leur chance aux législatives, comme Jean-Luc Bennhamias. Mais avec le score du leader centriste à l'élection présidentielle, les velléités se sont éteintes d'elles-mêmes.
Entre ces deux tendances opposées, l'UMP et le PS gèrent tous deux un renouvellement partiel de leurs troupes. A chaque fois dans des conditions baroques qui en disent long sur la valeur du Parlement européen vu de Paris. Au Parti socialiste, il s'agit de remplacer les trois ministres partants, voire Estelle Grelier qui se présente aux législatives. A priori, rien de plus simple : les élections européennes se faisant par scrutin de listes, il suffit de prendre les suivants sur la liste pour remplacer les partants. Mais même les suivants ont la tête ailleurs : Isabelle Thomas, la remplaçante potentielle de Stéphane Le Foll ? Candidate aux législatives. Et derrière elle, Yannick Vaugrenard est depuis devenu sénateur. Pour Vincent Peillon, même situation : Karim Zéribi veut entrer au Palais-Bourbon, tout comme la suivante sur la liste. « C'est un vrai sac de noeuds », reconnaît une socialiste. En clair, ceux ayant échoué aux législatives auront un lot de consolation à Strasbourg...
A l'UMP, quatre parlementaires (Damien Abad, Franck Proust, Agnès Le Brun et Arnaud Danjean) préparent leurs valises, même si leur départ est loin d'être assuré compte tenu du contexte électoral. Y en aura-t-il un cinquième sur la liste? Si Rachida Dati avait obtenu l'investiture à Paris, aucun de ses collègues du parti ne l'aurait vraiment regrettée. Les greffiers sont toujours surpris de la voir s'installer quasi systématiquement au fond de la salle en Commission parlementaire, alors qu'elle a une place réservée devant. Il est vrai qu'il est alors beaucoup plus facile pour l'ancienne ministre de s'éclipser discrètement au bout de dix minutes... Pour autant, il y a bel et bien un cinquième partant, qui fait beaucoup moins rire ses collègues. Il faut en effet faire de la place à Nora Berra. Elue députée européenne en juin 2009, elle n'avait jamais siégé puisque nommée aussitôt dans le gouvernement de François Fillon. Comme l'ancienne secrétaire d'Etat à la Santé n'a pas trouvé de point de chute aux législatives, elle veut retrouver son siège à Strasbourg, et pourrait éjecter Michel Dantin, avec la bénédiction de l'UMP. « Ce serait vraiment une catastrophe pour l'influence française à Bruxelles », assure un de ses collègues.
L'affaire illustre le peu de compréhension des arcanes européennes dans les états-majors politiques. Michel Dantin, un ancien agriculteur passé par des cabinets ministériels, est devenu un membre influent de la commission parlementaire Agriculture. La France, qui a déjà perdu Stéphane Le Foll, pourrait donc voir partir son autre personnalité de poids sur les questions agricoles. « Ca arrive au moment même où le Parlement européen devient colégislateur sur les questions agricoles », se désole un élu UMP. En clair, la délégation parlementaire française pourrait se voir décapitée alors que se profile dans les prochains mois une réforme à haut risque de la PAC...
Le tournant de Lisbonne
Le traité de Lisbonne a, d'une manière générale, considérablement élargi le champ d'action des eurodéputés. Une note récente de la Fondation Schuman rappelle que le « nombre de domaines où le Parlement européen est colégislateur a quasiment doublé, passant de 45 à 89 sur les 120 domaines définis dans le traité ». Désormais, il ne se prive pas de jouer pleinement de ces leviers. Récemment, ce sont les eurodéputés qui ont fait plier les Etats membres sur la question de l'itinérance pour les téléphones mobiles, finissant par obtenir que la facture payée par les clients pour leurs appels passés de l'étranger soit encore revue à la baisse par rapport à ce que prévoyait le texte initial. Même chose sur les questions de régulation financière : les Européens se déchirent actuellement sur les nouvelles exigences en matière de fonds propres -les règles dites de « Bâle III » -qui s'appliqueront aux banques dans le futur. Le Parlement veut ajouter au projet législatif un volet qui réduit drastiquement les bonus des banquiers. S'ils veulent conclure, les Etats membres auront nécessairement à trouver un terrain d'entente sur ce point qu'ils n'avaient pourtant pas prévu d'aborder.
Tous les acteurs du jeu communautaire savent que l'hémicycle européen est un lieu à ne pas négliger. Les équipes de BNP Paribas ou de la Société Générale ont fait le siège du bureau de l'eurodéputé Vert belge Philippe Lamberts, qui fait partie de l'équipe de négociation des règles de Bâle III. « Sur ce dossier, j'ai reçu entre 200 et 300 demandes de rendez-vous », s'amuse-t-il. Parmi les Français, Jean-Paul Gauzès (UMP), a acquis une position incontournable sur les questions économiques, en devenant le coordinateur du PPE -le principal parti du Parlement européen -au sein de la commission des Affaires économiques. Sous sa rondeur apparente, l'homme est devenu l'interlocuteur obligé de Bercy -qui peut l'appeler trois fois par semaine -des gouverneurs de banques centrales, de Christine Lagarde...
La connaissance des rouages
Une position comme celle-là est un atout. Mais Paris en a-t-il conscience ? « Les administrations et les ministères le savent désormais parfaitement. Mais c'est loin d'être le cas pour les partis politiques de tous les bords, qui continuent de considérer le Parlement européen comme une Chambre des lords où l'on peut mettre à l'abri des amis », se désole Alain Lamassoure (UMP), l'un des Français les plus chevronnés. Lui-même s'est retrouvé assez loin sur les listes lors de l'élection 2009, n'étant du coup réélu que de justesse.
Alors que les Allemands ont l'habitude de faire plusieurs mandats, les Français, eux, changent régulièrement. Difficile dans ce contexte de faire son trou : on dit qu'il faut généralement un mandat pour bien connaître les rouages du Parlement de Strasbourg et apprendre à travailler avec des personnes qui ne parlent pas nécessairement votre langue. Ce n'est souvent qu'après un long apprentissage qu'arrivent les responsabilités, et notamment la rédaction de rapports parlementaires, qui sont un marqueur d'influence. Un parcours du combattant, ingrat et sans visibilité médiatique, qui peut décourager bien des volontés...
Ces retours vers Paris n'ont toutefois pas que des mauvais côtés. « Les partants ont acquis une expérience des pratiques européennes, et vont pouvoir en faire profiter les institutions françaises », souligne Pervenche Berès (PS). L'eurodéputée -élue depuis 1994 -relève que d'autres pays ont puisé dans leurs délégations nationales au Parlement européen pour constituer récemment leurs gouvernements : c'est le cas de la Roumanie et de l'Espagne, où le ministre des Affaires étrangères vient de Strasbourg. « Le Premier ministre letton est également un ancien de l'hémicycle, et les contacts qu'il a pu y nouer l'ont puissamment aidé dans le contexte actuel », relève Alain Lamassoure. Ce dernier va même jusqu'à dire que « le Parlement européen devient un des lieux où il est bon d'avoir exercé avant un mandat national ». Un peu excessif ? Peut-être qu'un jour, les applaudissements des eurodéputés salueront le départ de l'un des leurs pour l'Elysée...
(Source : Les Echos, en date du 8 juin 2012).
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