vendredi, 29 juin 2012
Vendredi Europe Express - Comprendre la crise grecque, par Catherine Mouradian
Les causes profondes de la crise grecque trouvent leurs origines dans l’histoire de la Grèce moderne.
I/ Quelques dates
1827 L’indépendance de la Grèce, une victoire dans la douleur
· La Grèce, soutenue par la Russie, la France et le Royaume Uni, retrouve son indépendance après 400 ans d’intégration à l’Empire ottoman et 6 ans de guerre contre l’occupant. Le territoire libéré n’est qu'un ensemble de villages sans structures étatiques.
· Son premier chef d’Etat, Ioannis Capodistria, né à Corfou, partisan actif de l’indépendance et ancien conseiller du tsar de Russie, est choisi, dès 1927, par la jeune Assemblée Nationale grecque siégeant à Epidaure.
· Ioannis Capodistria met pour la première fois le pied en Grèce en 1928, bien décidé à faire de son pays un état moderne mais il découvre un pays en plein chaos, gangréné par des rivalités locales, une économie à genoux et une situation sanitaire déplorable (fièvre typhoïde, dysenterie, et choléra). Il est assassiné en 1931.
1832 Un pays reconstruit qu’en apparence grâce aux fonds européens
· L'Europe donne à la Grèce un roi bavarois, Otton 1er qui gouverne comme il peut avec des conseils allemands !
· Pour construire l’état moderne grec, la France le Royaume-Uni et la Russie donnent beaucoup d’argent, 60 millions de francs or.
· Tout est largement dilapidé dans la construction de la nouvelle capitale Athènes (1834) et en dépenses militaires ruineuses dans l'idée de reprendre Constantinople aux ottomans.
· Les états prêteurs commenceront à se rembourser sur l’ensemble de ce que produit la Grèce.
1893/1897 La première crise de la dette
· La débâcle économique est due à la crise de surproduction de raisins secs
· La débâcle politique fait suite à la défaite contre les Ottomans
· Une commission internationale regroupant les puissances européennes récolte les droits sur le tabac et ceux du port du Pirée pour payer les créanciers !
1922 La Grèce doit oublier Constantinople !
· Les investissements militaires contre les ottomans seront vains. La Grèce a combattu au côté des alliés durant la première Guerre mondiale mais le traité de Sèvres est annulé par le traité de Lausanne. La Grèce est en état d'échec face à la Turquie de Moustapha Kemal.
· Le pays doit absorber l’arrivée en masse des migrants de Turquie fuyant le nouveau régime d’Atatürk.
1933 La Grèce subit de plein fouet la crise mondiale
· La crise de 1929 est devenue mondiale. Beaucoup de pays européens sont en faillite, cette crise favorise l’émergence du fascisme et porte Hitler au pouvoir en Allemagne.
· A la veille de la seconde guerre mondiale la Grèce n'a toujours pas les moyens de faire émerger son économie.
1945 L’Europe renforce sa pression économique sur l’état grec
· Le Royaume-Uni accorde un emprunt à la Grèce qui sort meurtrie de l’occupation nazi, mais exige d'avoir la tutelle du budget.
· Des règlements réguliers de taxation des produits grecs sont créés pour payer la dette,
· L’incompréhension s’accentue entre le peuple et le gouvernement.
1946 à 1949. C’est la guerre civile
1974 Les premiers pas vers l’intégration européenne, l’espoir d’une embellie économique !
· C'est la chute du « Régime des colonels » qui tenait le pays d’une main de fer depuis 1967. Le pays est une république depuis 1973.
· Malgré les réticences de la Commission européenne, la Grèce va être intégrée à l’Europe.Valérie Giscard d’Estaing dit en 1974 : « On ne claque pas la porte de l'Europe au nez de Platon ».
· La Grèce est déjà endettée à 100 % de son PIB. La Grèce devient membre de la CEE en 1981.
2000 à 2007 Un pays attractif
L’économie grecque est une des plus dynamiques de la zone euro avec 4,2% de croissance grâce notamment à l’apport de capitaux étrangers.
Depuis 2009 la crise mondiale et la spéculation sur la dette plombent la Grèce
· Toute la production grecque paye une dette très ancienne de plus de 150 ans, et les intérêts associés.
· En 2009, la Grèce ne produit simplement que 15 % de moins que ce qu'elle produisait avant dans ses deux secteurs majeurs du tourisme et du transport maritime mais cela la met dans une faillite noire avec une dette publique d’environ 158%.
· Le système de la dette s'auto nourrit de catastrophes et de la spéculation sur les dettes (hedge funds ou fonds vautours). On recense aujourd'hui 11 500 hedge funds et 5 % de ces fonds sont à la table des négociations de lutte contre la dette en Grèce !
· La dette grecque atteint 350 milliards d’euro à fin 2011.
Depuis 1977, la dette américaine est, elle, de 13 000 milliards de dollars le budget militaire américain de 16 000 milliards de dollars. Depuis 1999 les USA ont remboursé seulement 4000 milliards de dollars d'intérêts.
II/ Un contexte politique général confus
· Dès les années 1830, les états prêteurs se sont remboursés peu ou prou sur tout ce que produisait la Grèce, elle n’a donc jamais pu organiser son budget et son état.
· On entraînera le peuple grec dans un nationalisme fort, pour justifier les dépenses militaires payées par des emprunts étrangers mais aussi pour lui faire oublier l’absence d’administration du pays.
· D’un côté, l’Exécutif fonctionnera sur l'illusion d'une richesse et les gouvernements se succèderont au gré de querelles politiques violentes.
· De l’autre, le peuple fidèle aux habitudes prises depuis l’occupation ottomane gèrera son quotidien dans le cadre de son village ou en petits groupes. L’administration ottomane n'était pas très impliquée dans la gestion directe des territoires ; le chef du village, le pope où un représentant local faisait le lien avec l'administration centrale.
De 1827 à nos jours, entre guerre civile, dictatures et bouleversements mondiaux, la Grèce n'a pas pu construire son état, son unité nationale et son économie. Au-delà des rivalités politiques, structurellement les grecs n’ont pas appris à fonctionner ensemble. La Grèce a besoin de temps et d’un contexte plus favorable.
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